Ayant été chargé d’apporter des réponses à ceux qui pourraient s’interroger sur la pertinence de la restauration de l'Institution royale du Sine au sein de la République , je tiens à remercier Maad Niokhobaye Diouf de m'avoir associé à la préparation de cet événement , et de m'offrir l'opportunité de partager avec vous les objectifs poursuivis à travers la revalorisation du riche patrimoine culturel sérère . Ce sera aussi le lieu de préciser les enjeux de la renaissance culturelle souhaitée et soutenue par le peuple , comme en atteste la présence massive de nos concitoyens dans cette place mythique de NGEL WASSILA .
Derrière ce questionnement , qui pourrait procéder d’une saine et légitime curiosité , se profilent chez certains , des appréhensions sur la tentation de faire revivre un passé révolu et la crainte d’un conservatisme incompatible avec l’idée qu’il se font de la République , du développement et de la modernité .
A ceux d'entre eux qui n'ont que l'Occident comme référence et modèle , rappelons quel’Europe n’a jamais renié ni bradé son patrimoine culturel , comme le rappelait fort justement le Dyao Ogo Amadou Bakhaw Diaw : « Les impérialismes culturels d'Occident et d'Orient ont bien compris que pour mener à bien leur oeuvre d'aliénation culturelle dans notre pays, il fallait saper les bases des fondamentaux de notre culture nationale dont la plus essentielle était la composante sérère . Et pourtant la civilisation occidentale , si scientifique et technologique, a toujours fondé son unité culturelle et sa conscience historique sur les Antiquités gréco-latines » 1 . Force est de constater que l'Occident assume aujourd’hui encore, sa culture et ses traditions judéo-chrétiennes , comme le prouvent tous les débats sur le port du voile et les craintes d'une islamisation non désirée et vigoureusement combattue . Or , on peut noter qu'en Europe , douze pays sont des monarchies dont l’Angleterre , l'Espagne et la Belgique où tentent d 'émigrer au péril de leur vie , de jeunes africains . Cette précision faite , il convient de souligner qu'il existe dans le monde une quarantaine de monarchies institutionnelles , qui ne figurent pas parmi les pays les plus pauvres , ni les moins avancés . Le sultanat de Brunei , le Qatar, le Koweit , les émirats Arabes Unis , le Japon…sont à la pointe de la prospérité économique .
Et parmi les six pays les plus riches d’Afrique figure le royaume chérifien , le Maroc. Si l’on rapporte la richesse des pays (leur PIB) , au nombre d’habitants devant en bénéficier , deux monarchies figurent parmi les huit pays les plus riches d’Afrique , le Maroc et le Botswana.
A l’échelle mondiale , le PIB rapporté au nombre d’habitants révèle que quatre monarchies figurent parmi les dix pays les plus nantis : le Luxembourg, la Norvège, le Qatar et le Danemark qui occupent respectivement la 1ère , la 4ème , la 6ème et la 10ème place , les Etats Unis d’Amérique n’arrivant qu’à la 9ème position . Ces quelques exemples montrent à suffisance que la monarchie n’est en soi , ni source d’indigence économique , ni un frein au développement .
Dès lors , les appréhensions sur le système monarchique porteraient peut-être sur l'incompatibilité supposée de la restauration de l'Institution royale du Sine avec la République.
Pour répondre à cette préoccupation , interrogeons la Charte fondamentale de notre pays, la Constitution , qui stipule en son préambule : « le Peuple du Sénégal souverain , profondément attaché à ses valeurs culturelles fondamentales qui constituent le ciment de l’unité nationale ;
Conscient de la nécessité d’affirmer et de consolider les fondements de la Nation et de l’Etat ; Proclame : le principe intangible de l’intégrité du territoire national ; ... et de l’unité nationale, dans le respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de la Nation… »
Notons que le préambule est partie intégrante de la Constitution , avant de souligner que si un Etat est une organisation politique , souveraine , formée par des institutions qui régulent la vie d’une communauté sur un territoire délimité par des frontières, la Nation est composée d’individus, qui se considèrent comme liés et appartenant à un même groupe .
Lorsque la Constitution proclame la nécessité de consolider les fondements de la Nation , elle incite à la valorisation des liens culturels , historiques et linguistiques qui structurent des relations apaisées entre les communautés qui composent la Nation. Mieux , notre Constitution invite au respect des spécificités culturelles de toutes les composantes de la Nation .
Et l’Institution royale du Sine , facteur de stabilité sociale, régulatrice d’un vivre ensemble dans la cohésion et l’harmonie , vecteur de liens de solidarité entre ses membres et les différentes communautés qui composent le Sénégal , fait partie sans nul doute des fondements de notre Nation . En réalité , selon Cheikh Hamidou KANE , en raison des vicissitudes de l'histoire , « l'Afrique , comme le disait Ki Zerbo , a été victime d’une dépossession de son espace , ses empires ont été dépecés en une cinquantaine de territoires au profit des colonisateurs… Il faut que l’Afrique redevienne elle même en se basant sur les structures antérieures à la colonisation… Je ne préconise pas un retour au passé mais un recours au passé… Nous devons nous inspirer de l’héritage de nos ancêtres. La réappropriation de notre identité endogène passe par cette démarche . » 2 C’est bien dans cette démarche de « recours au passé » que Maad Niokhobaye Diouf souhaite inscrire la restauration de l’Institution royale du Sine , « inspirée de l'héritage de nos ancêtres » et en parfaite adéquation avec les exigences de l'heure . En effet , de préoccupantes menaces de déstructuration sociale se font jour , et il y a urgence à y faire face et à y apporter des solutions viables à travers une véritable et salutaire renaissance culturelle .
Amadou Bakhaw Dyao , dans son article déjà cité , avait lancé l'alerte en ces termes : « le peuple sérère constitue la plus ancienne population du Sénégal . Partis du Nil ,les Sérères ont migré vers la vallée du fleuve Sénégal, région qui allait devenir le Tekrour , ensuite le Fouta Toro... Tout au long de la vallée, au gré de leurs périgrinations , subsistent encore les traces de l'ancien peuplement sérère. Pour preuve de ces traces humaines , dans beaucoup de villages traditionnels du Walo , les populations portent encore des patronymes authentiquement sérères comme Ngom , Ndione , Diamé , Thiaw , Sarr , Faye , Sène , Diouf , Senghor , Ndour , etc . Rappelons que la grand-mère du vénéré El Hadj Malick Sy de Gaya s'appelait Mbodé Faye . Cousin à plaisanterie des ethnies haal pulaar de l’extrême nord et diola de l’extrême sud , apparenté aux wolofs du centre et des mandingues de l’Est , le sérère est le dénominateur commun de tous les Sénégalais , le Sénégalais par excellence , rien de ce qui est sénégalais ne lui est inconnu . Sa civilisation fut la matrice , le creuset qui a permis l’éclosion de la culture de la majeure partie des ethnies sénégalaises . Malheureusement , depuis plus d’un siècle , le peuple sérère est menacé dans son espace vital , dans ses terroirs, dans sa langue , sa cosmogonie et dans sa culture » 3.
Comment ne pas souligner que ce plaidoyer est celui d’un Walo Walo bon teint et non l'autoglorification d’un Seereer . Notre cousin Diola , le Gouverneur Saliou Sambou , auteur de l’ouvrage Aguène et Diambone , ne dit pas autre chose : « Historiquement, les Sérères sont au centre de toute la stratification des ethnies composant le peuple Sénégalais . Ils ont des liens de sang avec les Joolas , les Socés , les Toucouleurs, les Ouolofs , les Lébous, etc . Culturellement , ils sont la grande galaxie principale autour de laquelle tournent comme des météores toutes les autres composantes ethniques du Sénégal et même de l'Afrique de l'Ouest. Pratiquement , le Sérère et sa culture sont incontournables pour bâtir une nation sénégalaise homogène culturellement forte et en même temps composite avec des apports enrichissants faits de toutes les spécificités » 4 . Aussi , l’observation de Fata Ndiaye prend - elle plus de relief : « par le jeu de nombreux métissages, « la nouvelle ethnie seereer » est devenue l'ethnie qui , au Sénégal, a su transcender avec bonheur le problème du tribalisme » 5.
Et l’historien Mamadou Mané , de préciser que « d’après les traditions recueillies par beaucoup d’auteurs (Pélissier , Beranger Ferraud, Aujas…) des migrants mandings , partis du Bajar , dans le Kaabu , fondèrent la dynastie princière des Guélwaar des pays sérères avec l’avènement de Maysa Wali Dione (XIII ème - XIV ème sicècle)… Mais en pays sérère , les Mandings subirent bientôt la culture des autochtones . Ils y apportèrent certes la royauté , mais ils sont progressivement devenus , par mariages , des Sérères au lieu de se maintenir comme Mandings . Ils adoptèrent très vite la langue sérère contrairement aux autres régions où ils s’installèrent » 6 .
L’Institution royale du Sine apparaît , à travers tous ces témoignages , comme un système vertueux et intégrateur , issu d’une culture d’inclusion porteuse d'un projet de société respectueux de la personne humaine et de sa dignité . Elle est ainsi constituée :
Mais nous ne soulignerons jamais assez la conception progressiste et humaniste de l'Institution royale du Sine , si nous n'insistons pas sur le statut déterminant accordé à la Femme dans ce dispositif , avec l'éminente fonction de Linguère dévolue à la Reine mère et les attributs des jeunes linguères (soeurs du roi ) pour une prise en charge permanente des aspirations des femmes . Honorées et respectées , elles étaient aussi distinguées par des terroirs placés sous leur autorité comme Thioupane près de Diakhao , Ndiandiaye à Fatick ou Sass Maad. Nous constatons dès lors que deux recommandations essentielles de la Charte de Kurukan Fuga (adoptée au XIIIe siècle dans l'Empire du Mali ) ont réellement été appliquées dans le royaume du Sine :
Notons aussi que ce pouvoir était à la fois décentralisé et déconcentré à l’intérieur des provinces dirigées par des Boumi ( Princes ) à Somb, Thilas , Loul , Ndok , portant les titres de Sanegui à Ndiob , Lam Ndiafadj à Ngayokhème , Lama Sass à Niakhar , et Maad ( à Patar , Diarèkhe , Mbadatte , Dioral , Ngohé , Mbouma , Sob , Diokoul…) . Ils étaient secondés par les Chefs de village appelés Saa Saax .
En appui au Conseil de la Couronne , la dimension spirituelle et la protection mystique de la communauté reposent sur les Saltiguis , convoqués une fois par an dans une séance de divination et de prospective socio-économique appelée xooy , un des rituels fondateurs du Sine , inscrit à l'UNESCO , sur la Liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité. S'y ajoutent les relais communautaires particulièrement bien écoutés , constitués par les griots ( historiens , généalogistes , archivistes et médiateurs sociaux ) représentés dans la Cour royale par « Fara junjung et Paar » , mais aussi présents auprès de chaque famille de dignitaires du Sine .
Dans ce système inclusif , il convient de signaler que les communautés non sérères , d'origine étrangère , n’étaient pas en reste dans la répartition des pouvoirs . C’est ainsi que pour la communauté peul , un Ardo assurait la fonction de Farba Diaolé .
Par ailleurs, il était attendu de tous les détenteurs de pouvoir , un comportement exemplaire en conformité avec les valeurs fondamentales qui constituent le socle de la culture seereer , car comme le souligne le professeur Madior Diouf : « le contenu des valeurs morales est certainement un des éléments d’universalité les plus évidents dans les composantes de la civilisation sérère . L’homme idéal , y est en effet caractérisé par les vertus d’honnêteté , d’honneur , de courage , de sens de l’effort » 7 .
Le culte du travail qui bannit le parasitisme social , le respect de l’autre qui appelle tolérance, ouverture et hospitalité , le respect de la parole donnée qui fonde la crédibilité et la dignité de la personne , constituaient les critères d’appréciation de la qualité d’un dirigeant . Ne pas y souscrire et y déroger appelait des sanctions , pouvant aller jusqu’au bannissement c’est-à-dire l'exclusion pure et simple de la société , et la destitution du Roi par le Jaraaf , au nom du Peuple , quand il n'incarnait plus les vertus et valeurs cardinales fondatrices .
Ce sont là les premières composantes du legs à faire fructifier à travers la restauration de l’Institution royale du Sine , à faire partager par toute la communauté sérère et la Nation sénégalaise , afin de renouer avec cette éthique , source de civisme et de patriotisme, même en République .
L’Institution royale restaurée , nous pouvons espérer la renaissance , la revitalisation et la revalorisation des fameuses associations civiques sérères , les " Mall" , véritables structures de développement composées de jeunes hommes et femmes au service actif de la société . Ces forces vives engagées dans l'amélioration des conditions de vie des couches vulnérables de la société , se faisaient remarquer et apprécier par le travail , l'entraide et la solidarité . C'était cela la société civile sérère qui n'a rien de commun avec des groupuscules ni élus , ni mandatés par le peuple dont ils s'autoproclament porte-paroles , envahissant rues et médias pour tenter d’imposer leurs points de vue à toute une société . Rappelons enfin que dans l’ensemble du territoire national , d’autres communautés ont procédé à la même démarche de réappropriation de leur patrimoine culturel à travers la restauration de leur système d'organisation d'antan . Citons la communauté lébou qui déjà sous la domination coloniale , s’affichait comme République , avec un Grand Serigne , des Jaraafs , Ndeye ji réew , Saltiguis et autres dignitaires.... La forte délégation du Roi d’Oussouye et celle conduite par Bour Gandiaye , ici présentes , en attestent aussi . Or , le Sine peut se prévaloir d’une antériorité et d’une légitimité historique pour s'inscrire dans cette mouvance :
La réappropriation de notre culture fait aussi écho aux préoccupations du panafricaniste Cheikh Anta Diop qui notait que « tout le peuple africain est divisé par des barrières ethniques que nous croyons étanches par ignorance , ce qui nuit au sentiment d’unité exigé plus que jamais par les circonstances historiques dans lesquelles nous nous trouvons .
Comment résoudre le problème ?
En démontrant d’une façon indiscutable la parenté des Sérères , des Wolofs , des Saras (peuple des "négresses à plateau » ) , des Sarakollés , des Toucouleurs, des Peuls, des Laobés, je rends désormais ridicule tout préjugé ethnique entre les ressortissants conscients de ces différents groupements . Ce principe doit être étendu à toute l’Afrique par nos frères des autres régions » . 8
Dans cette perspective hautement unificatrice , il convient donc d'éviter une vision étriquée de la royauté , pour retenir le contenu et les symboles que génère l'instauration de l'Institution royale du Sine , notamment la revalorisation du riche patrimoine culturel sérère . Cette culture a apporté une contribution déterminante dans la construction de la Nation sénégalaise , en pacifiant les relations entre les communautés . Quelques exemples suffiront à l’illustrer :
Et Marcel Diouf de préciser dans « Lances mâles » (Salma koor ) que « Lat Dior gagna Thioupane , la résidence de la Linguère , la Reine-Mère Gnila Diogoy qui se trouvait ce matin là à Ndofène . Il enleva entre autres filles et nièces du Bour , Fatma Thioub , Hama Saïd et Sélbé Ndoffène ... Hama Saïd s'était suicidée ... Fatma Thioub épousa Lat Dior. Leur fille Bambi Diop devint la femme de Coumba Ndoffène II ( Fandeb) , le deuxième roi à porter ce nom .» 11 Selbé Ndoffène Diouf a été donnée en mariage à Abdoulaye Oulimata Khouma BA, frère de Maba Diakhou BA . Leur fille Marième Selbé BA se maria à Abdoul Hamid KANE de Kaolack. Ils mirent au monde Astou et Aminata Kane . Sokhna Astou Kane est la mère de Cheikh Tidiane Sy Al Makhtoume , Abdoul Aziz Sy Junior et Pape Malick Sy de Tivaouane . Thierno Amadou Dème de Sokone épousa Sokhna Aminata Kane. Ils donnèrent naissance à Sophie Dème et Hindou Dème. Cette dernière est la mère de Djamilatou Bèye, notre informatrice . 12
Il est temps de conclure . A la lumière des données collectées et analysées , il apparaît clairement que l’Institution royale du Sine , par la culture véhiculée et les liens tissés , a apporté une contribution essentielle à la construction de la Nation sénégalaise et a été un facteur décisif d'unification . Vecteur d’un vivre ensemble harmonieux , elle a favorisé la cohésion et la pacification intercommunautaires . La volonté de restaurer cette Institution obéit donc essentiellement à la nécessité de sauvegarder et de revaloriser un patrimoine culturel susceptible d'une part , de conforter le sentiment d’appartenance à la Nation Sénégalaise , et d'autre part de consolider les liens entre Nation et Etat , à travers des projets de développement communautaire et la promotion de l'éthique pour une citoyenneté constructive .
Pape Massène SENE
Chercheur à la retraite ( CEC / ACS / IFAN -UCAD)
Professeur Invité à l'Université Senghor d'Alexandrie - EGYPTE .
Diakhao le 8-02-2020